Des « ouvriers infidèles » et un commerce « odieux ». Appropriations et contrebande des laines dans la draperie rémoise (1730-1860). [Reims (Marne)]. [Thèse].
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Titre
Des « ouvriers infidèles » et un commerce « odieux ». Appropriations et contrebande des laines dans la draperie rémoise (1730-1860). [Reims (Marne)]. [Thèse].
[Thèse de l'École des chartes, 2017].
Introduction de la thèse :
La manufacture textile de Reims est, entre les années 1730 et les années 1860, le cadre de conflits récurrents entre les acteurs de la fabrique – fabricants, ouvriers ou encore administrateurs – au sujet des vols et de la contrebande des laines destinées au secteur de la draperie. Ces délits forment une catégorie particulière : ils s’enracinent en effet dans les modalités d’un travail dispersé à travers la ville et à la campagne, en boutiques et en ateliers, et dans les modes de circulation des matières premières qu’il implique. Ils trouvent, par ailleurs, un fondement dans des coutumes ouvrières d’appropriation des déchets de fabrication, le déchet récupéré pouvant avoir été créé à dessein. Les détournements expriment le caractère ambigu de la propriété de matières premières qui circulent de mains en mains au cours de l’élaboration des produits. D’autant que le contrôle direct du travail par les donneurs d’ouvrage est faible, sinon inexistant. Alors même que de plus en plus d’ouvriers entrent en fabrique au XVIIIe siècle, souvent au service d’un unique employeur, c’est dans la boutique du fabricant, une fois la pièce livrée, que le donneur d’ouvrage peut s’apercevoir des déprédations.
Les appropriations de laine sont inhérentes au mode d’organisation du travail, qui correspond à la phase primitive de la première industrialisation. À Reims comme dans d’autres fabriques textiles de France et de l’Europe du Nord-Ouest, la domination des ouvriers par les fabricants se fait, en l’absence de supervision directe, en grande partie par des moyens marchands, la rémunération et la matière première. Celles-ci médiatisent la relation de travail dans la mesure où le paiement, la fourniture des matières premières et le rendu des pièces travaillées sont les principaux moments de contact entre les donneurs et les preneurs d’ouvrage. Dans le même temps, le monde des fabricants se polarise, les écarts se creusent à Reims entre ceux qui grossissent et ceux qui se rapprochent du monde ouvrier. Les marchés se ferment. Les détournements et le marché noir des déchets et faux déchets sont une conséquence de ces rapports de production en mutation.
À bien des égards, ils apparaissent même comme une contradiction de cette évolution. La dispersion du travail, ainsi que les processus de polarisation sociale et de monopolisation des accès aux matières premières, intrinsèques à la croissance de la production drapière rémoise au XVIIIe siècle, créent un terrain favorable aux fraudes et à la contrebande. Or, loin d’être vues comme accessoires, ces pratiques sont considérées comme une plaie de la manufacture. La question est alors celle du rôle tenu par les délits de détournement, ainsi que par le marché noir, dans le passage à un contrôle direct du travail par les détenteurs du capital au cours du XIXe siècle. La période voit en effet s’affirmer des transformations fondamentales dans les relations de travail, que l’on a pu caractériser comme une naissance du salariat ouvrier. Or, en luttant contre les appropriations, les maîtres des fabriques rémoises ont peu à peu contribué à l’installation de quelques traits caractéristiques du nouveau régime industriel qui s’impose dans les années 1860, à commencer par le système usinier ainsi que la généralisation de la figure d’un ouvrier caractérisé par un salaire monétaire et totalement exclu du droit à posséder et à commercialiser les matières premières.
[Thèse de l'École des chartes, 2017].
Introduction de la thèse :
La manufacture textile de Reims est, entre les années 1730 et les années 1860, le cadre de conflits récurrents entre les acteurs de la fabrique – fabricants, ouvriers ou encore administrateurs – au sujet des vols et de la contrebande des laines destinées au secteur de la draperie. Ces délits forment une catégorie particulière : ils s’enracinent en effet dans les modalités d’un travail dispersé à travers la ville et à la campagne, en boutiques et en ateliers, et dans les modes de circulation des matières premières qu’il implique. Ils trouvent, par ailleurs, un fondement dans des coutumes ouvrières d’appropriation des déchets de fabrication, le déchet récupéré pouvant avoir été créé à dessein. Les détournements expriment le caractère ambigu de la propriété de matières premières qui circulent de mains en mains au cours de l’élaboration des produits. D’autant que le contrôle direct du travail par les donneurs d’ouvrage est faible, sinon inexistant. Alors même que de plus en plus d’ouvriers entrent en fabrique au XVIIIe siècle, souvent au service d’un unique employeur, c’est dans la boutique du fabricant, une fois la pièce livrée, que le donneur d’ouvrage peut s’apercevoir des déprédations.
Les appropriations de laine sont inhérentes au mode d’organisation du travail, qui correspond à la phase primitive de la première industrialisation. À Reims comme dans d’autres fabriques textiles de France et de l’Europe du Nord-Ouest, la domination des ouvriers par les fabricants se fait, en l’absence de supervision directe, en grande partie par des moyens marchands, la rémunération et la matière première. Celles-ci médiatisent la relation de travail dans la mesure où le paiement, la fourniture des matières premières et le rendu des pièces travaillées sont les principaux moments de contact entre les donneurs et les preneurs d’ouvrage. Dans le même temps, le monde des fabricants se polarise, les écarts se creusent à Reims entre ceux qui grossissent et ceux qui se rapprochent du monde ouvrier. Les marchés se ferment. Les détournements et le marché noir des déchets et faux déchets sont une conséquence de ces rapports de production en mutation.
À bien des égards, ils apparaissent même comme une contradiction de cette évolution. La dispersion du travail, ainsi que les processus de polarisation sociale et de monopolisation des accès aux matières premières, intrinsèques à la croissance de la production drapière rémoise au XVIIIe siècle, créent un terrain favorable aux fraudes et à la contrebande. Or, loin d’être vues comme accessoires, ces pratiques sont considérées comme une plaie de la manufacture. La question est alors celle du rôle tenu par les délits de détournement, ainsi que par le marché noir, dans le passage à un contrôle direct du travail par les détenteurs du capital au cours du XIXe siècle. La période voit en effet s’affirmer des transformations fondamentales dans les relations de travail, que l’on a pu caractériser comme une naissance du salariat ouvrier. Or, en luttant contre les appropriations, les maîtres des fabriques rémoises ont peu à peu contribué à l’installation de quelques traits caractéristiques du nouveau régime industriel qui s’impose dans les années 1860, à commencer par le système usinier ainsi que la généralisation de la figure d’un ouvrier caractérisé par un salaire monétaire et totalement exclu du droit à posséder et à commercialiser les matières premières.
Auteur
SEYFRIED, Renaud
Année
2017
Type
Thèse
Mot-clé
Reims (Marne)
Villes - villages
Industries de la laine
Champagne
Vols
Contrebande
Matières premières
Fraudes
Détournements frauduleux
Ouvriers - Ouvrières
XVIIIe, XIXe
Villes - villages
Industries de la laine
Champagne
Vols
Contrebande
Matières premières
Fraudes
Détournements frauduleux
Ouvriers - Ouvrières
XVIIIe, XIXe