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Les mondes coloniaux à Paris au XVIIIe siècle : circulation et enchevêtrement des savoirs.

Contenu

Titre

Les mondes coloniaux à Paris au XVIIIe siècle : circulation et enchevêtrement des savoirs.

Auteur

BAUJAU (édité par), Anja
DORIGNY (édité par), Marcel
MALLINCKRODT (édité par), Rebekka v.

Résumé

Présentation :
Les savoirs sur le monde colonial à la fin du XVIIIe siècle reposent sur une imbrication entre des informations provenant directement des colonies et des débats proprement français. C’est cette circulation des savoirs que les auteurs mettent en lumière à partir d’un certain nombre de cas de figure. L’ouvrage analyse les formes d’appropriations et de reformulations des savoirs liées aux attentes du contexte.

Saluons le travail initial sur les formes institutionnelles de collections d’informations : les collections exotiques, des jardins botaniques aux dépôts de carte de la marine, sont mises au service d’une machine coloniale et servent à délivrer des prescriptions qui seront appliquées dans les régions lointaines de l’Empire (François Regourd). Les collections des artefacts exotiques sont censées éclairer les origines de l’humanité. On s’efforce d’acclimater des plantes qui pourraient offrir aux colonies leur autonomie alimentaire comme l’arbre à pain, tandis que les colonies (le jardin colonial de Cayenne) sont censées de leur côté procurer à la métropole les épices dont elle a besoin (Pierre-Yves Lacour). Dans l’appropriation intellectuelle et matérielle des mondes extra-européens il existe une forte concurrence, comme le montrent les efforts français, anglais et allemands pour déchiffrer la Pierre de Rosette (Bénédicte Savoy). Lorsque se crée la Société des observateurs de l’homme, au moment où l’on découvre l’enfant sauvage de l’Aveyron, les enquêtes sur les peuples extra-européens vont se codifier et l’anthropologie, héritant de recherches antérieures diverses comme les travaux linguistiques d’un Court de Gébelin, va devenir une science de terrain. Démarche philanthropique et démarche cognitive se conjuguent sur l’arrière-plan de la pensée des idéologues pour fixer des identités collectives, selon le modèle du Dictionnaire des sciences naturelles de Cuvier (Jean-Luc Chappey). Alexandre de Humboldt n’a pas seulement mis en pratique la notion d’étude de terrain mais le voyageur a fait de la mise en relation mobile permanente le fondement d’une épistémologie spécifique : pour lui les espaces sont définis par les mouvements qui les traversent, les réseaux de relations se substituent aux frontières. Son œuvre ne se laisse pas confiner en un lieu précis, que ce soit Berlin ou Paris (Ottmar Ette). La critique de l’Histoire des deux Indes de l’Abbé Raynal par des contre-discours périphériques, par exemple ceux des Jésuites expulsés de l’Amérique hispanique (Hans-Jürgen Lüsebrink), illustre la rencontre de savoirs différents. A la vérité les récits de voyages ne servent pas seulement à enrichir le savoir anthropologique mais peuvent être lus comme des descriptions fantasmatiques de la liberté sexuelle des femmes indigènes, avoir une dimension de littérature érotique (Christiane Küchler Williams). De façon moins suspecte les connaissances acquises sur les cultures extra-européennes ont un impact sur la mode, voire sur la notion même de mode comme recherche d’une innovation et d’une altérité. De l’ethnomascarade aux modes orientalisantes, les modèles exotiques ont une influence très sensible sur l’art du costume (Gertrud Lehnert). A la fin du XVIIIe siècle l’intérêt pour les colonies s’accompagne de réflexions sur la question de l’esclavage. La genèse et l’écho du grand discours de Mirabeau, qui ne fut pas lu devant la représentation nationale ni imprimé après sa lecture devant le club des Jacobins (Marcel Dorigny), révèle les ambiguïtés de la société française. Les esclaves de Saint-Domingue surent traduire en émancipation réelle les principes de 1789 (Nick Nesbitt). Mais la métropole, qui ne les suivit pas dans leur révolte, réagit plutôt par L’Histoire des désastres de Saint-Domingue, qui représente le point de vue des colons (Anja Bandau). La difficile circulation des nouvelles de Saint-Domingue qui arrivent fragmentées et contradictoires montre cette ambiguïté (Jeremy Popkin).

L’ouvrage constitue un ensemble très cohérent sur la pénétration des mondes coloniaux dans la métropole. Il montre aussi, et c’est une dimension différente, la relation de correction réciproque entre les modèles sociaux pensés en Europe et les savoirs locaux qui les nourrissent et les relativisent. Il s’agit au fond d’une réflexion originale et novatrice sur ces transferts bilatéraux. Un léger regret portera peut-être sur le rôle trop éminent accordé à Paris qui n’est finalement qu’un des lieux de constitution du savoir parmi d’autres, de Madrid ou Londres à Saint-Pétersbourg en passant par Göttingen ou Berlin. Mais cette nuance n’enlève rien au grand intérêt d’une publication qui marque un jalon dans la découverte des liens de savoir entre l’Europe des Lumières et ses colonies.

Editeur

Paris, Éditions Karthala (<i>Hommes et sociétés</i>)

Année

2010

Type

Monographie

Pages

297 p.

Mot-clé

Histoire coloniale
Géographie historique
Histoire des idées sociales
Lumières (XVIIIe)

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