Femmes des montagnes dans l'économie informelle : les "faux-saunières" en Haut-Dauphiné au XVIIIe siècle
Item
Titre
Femmes des montagnes dans l'économie informelle : les "faux-saunières" en Haut-Dauphiné au XVIIIe siècle
Edition
In : Luigi LORENZETTI, Nelly VALSANGIACOMO, <i>Donne e lavoro. Prospettive per una storia delle montagne europee XVIII-XX sec.</i>, Mendrisio, 10-11 septembre 2008.
Auteur
MONTENACH, Anne
Résumé
Résumé :
Cette communication a pour objectif de montrer en quoi la contrebande, envisagée autrement que sous l’angle des actions spectaculaires et du mythe à la Mandrin, permet d’entrer, ne serait-ce que partiellement, dans le fonctionnement des économies montagnardes et d’éclairer un aspect des ressources mises en œuvre par les femmes des hautes vallées pour faire face à l’incertitude qui est leur lot quotidien. Elle se fonde sur le dépouillement des archives du grenier à sel de Briançon qui conservent les dossiers de 71 procès pour la période 1725-1760 : près de 30 % d’entre eux impliquent directement une ou plusieurs femmes. Au sein du Dauphiné, pays de petite gabelle, le Briançonnais constitue en effet un territoire privilégié où le sel se vend moins cher que dans les vallées alentour, ce qui représente une forte incitation à la fraude. Les quantités de sel saisies varient considérablement d’une affaire à l’autre et permettent de dégager, derrière une même infraction, des logiques économiques et sociales différentes. Les cas de menues saisies nous éclairent sur le fonctionnement d’une micro-économie locale, sur les relations qui lient entre elles les villageoises des hautes vallées et sur les échanges qu’elles établissent au quotidien avec le marché urbain. Elles nous placent face à une forme de contrebande occasionnelle, artisanale, une petite ‘délinquance’ diffuse et peu organisée, née de la dénivellation des prix entre régions voisines, et qui semble faire partie intégrante des relations économiques de proximité, fondées sur des échanges modestes et réguliers avec la ville la plus proche et sur les services rendus entre voisines. Les cas de femmes appréhendées en possession de grandes quantités de faux sel, qui représentent près de la moitié des affaires, conduisent quant à eux à s’interroger sur le rôle exact joué par ces femmes : faux-saunières « de profession » ou simples instruments aux mains de donneurs d’ordres et de réseaux organisés de contrebande ? L’intérêt des sources utilisées ici est qu’elles permettent d’entrer, même partiellement, dans les logiques d’activités qui, parce qu’elles cherchent par définition à laisser le moins de traces possible, échappent souvent à l’archive. Le faux-saunage paraît s’inscrire dans des formes originales de pluriactivité, mêlant activités licites et illicites, et dont on sait qu’elles constituent la première des stratégies de survie face à l’incertitude du lendemain. Ces femmes, qui mettent en commun leurs ressources ou ont peut-être recours à l’emprunt pour pouvoir acheter quelques livres de faux sel qu’elles iront ensuite revendre dans leur village, développent déjà, d’une certaine façon, des capacités entrepreneuriales destinées à leur permettre de s’insérer dans le marché – fût-il parallèle. En ce sens, elles savent jouer des ressources offertes par les frontières fiscales tout en exploitant la relative immunité que leur infériorité juridique leur assure face à la justice (combien d’amendes modérées, voire de mises « hors de cour »), pour contourner les obstacles traditionnellement opposés à leur capacité d’agir et assurer au jour le jour une partie au moins des ressources familiales.
Cette communication a pour objectif de montrer en quoi la contrebande, envisagée autrement que sous l’angle des actions spectaculaires et du mythe à la Mandrin, permet d’entrer, ne serait-ce que partiellement, dans le fonctionnement des économies montagnardes et d’éclairer un aspect des ressources mises en œuvre par les femmes des hautes vallées pour faire face à l’incertitude qui est leur lot quotidien. Elle se fonde sur le dépouillement des archives du grenier à sel de Briançon qui conservent les dossiers de 71 procès pour la période 1725-1760 : près de 30 % d’entre eux impliquent directement une ou plusieurs femmes. Au sein du Dauphiné, pays de petite gabelle, le Briançonnais constitue en effet un territoire privilégié où le sel se vend moins cher que dans les vallées alentour, ce qui représente une forte incitation à la fraude. Les quantités de sel saisies varient considérablement d’une affaire à l’autre et permettent de dégager, derrière une même infraction, des logiques économiques et sociales différentes. Les cas de menues saisies nous éclairent sur le fonctionnement d’une micro-économie locale, sur les relations qui lient entre elles les villageoises des hautes vallées et sur les échanges qu’elles établissent au quotidien avec le marché urbain. Elles nous placent face à une forme de contrebande occasionnelle, artisanale, une petite ‘délinquance’ diffuse et peu organisée, née de la dénivellation des prix entre régions voisines, et qui semble faire partie intégrante des relations économiques de proximité, fondées sur des échanges modestes et réguliers avec la ville la plus proche et sur les services rendus entre voisines. Les cas de femmes appréhendées en possession de grandes quantités de faux sel, qui représentent près de la moitié des affaires, conduisent quant à eux à s’interroger sur le rôle exact joué par ces femmes : faux-saunières « de profession » ou simples instruments aux mains de donneurs d’ordres et de réseaux organisés de contrebande ? L’intérêt des sources utilisées ici est qu’elles permettent d’entrer, même partiellement, dans les logiques d’activités qui, parce qu’elles cherchent par définition à laisser le moins de traces possible, échappent souvent à l’archive. Le faux-saunage paraît s’inscrire dans des formes originales de pluriactivité, mêlant activités licites et illicites, et dont on sait qu’elles constituent la première des stratégies de survie face à l’incertitude du lendemain. Ces femmes, qui mettent en commun leurs ressources ou ont peut-être recours à l’emprunt pour pouvoir acheter quelques livres de faux sel qu’elles iront ensuite revendre dans leur village, développent déjà, d’une certaine façon, des capacités entrepreneuriales destinées à leur permettre de s’insérer dans le marché – fût-il parallèle. En ce sens, elles savent jouer des ressources offertes par les frontières fiscales tout en exploitant la relative immunité que leur infériorité juridique leur assure face à la justice (combien d’amendes modérées, voire de mises « hors de cour »), pour contourner les obstacles traditionnellement opposés à leur capacité d’agir et assurer au jour le jour une partie au moins des ressources familiales.
Editeur
Milan, Franco Angeli
Année
2010
Type
Article
Pages
P. 68-82
Mot-clé
Femmes
Histoire sociale
Contrebande - Contrebandiers
Faux saunage
Dauphiné
XVIIIe
Histoire sociale
Contrebande - Contrebandiers
Faux saunage
Dauphiné
XVIIIe