Un avocat hors la loi
Item
Titre
Un avocat hors la loi
Auteur
SIMONET, Mathieu
Résumé
Je suis avocat et écrivain. Mon dernier roman, Barbe rose, publié aux éditions du Seuil en 2016, aurait pu être poursuivi en justice par mon père. J’y dévoile des pans de sa vie privée sans son autorisation et je reproduis des extraits d’un de ses manuscrits, toujours sans son autorisation. Je ne peux pas dire que je suis fier de cette situation. À plusieurs reprises, j’ai hésité à abandonner ce projet que j’avais commencé treize ans plus tôt : écrire sur mon père, faire de lui un « écrivain contre son gré ».
Mon père a été hospitalisé à Sainte-Anne l’année de ma naissance. Je n’ai pas tout de suite compris qu’il souffrait de problèmes psychiatriques importants ; j’avais une admiration pour lui, notamment pour son statut d’écrivain. Il ne publiait pas mais il écrivait tout le temps. Et surtout sa vie avait été dictée par l’écriture (il était devenu SDF à l’adolescence pour écrire ; à vingt ans, il était parti à Londres expérimenter des drogues pour écrire, etc. : toute sa vie a été pensée pour écrire). Dans les années 70, il a entamé une correspondance avec Jean Cayrol, le scénariste de Nuit et brouillard, poète rescapé des camps, devenu éditeur aux éditions du Seuil et membre de l’Académie Goncourt. Cet éditeur encourageait mon père à écrire. Papa travaillait sur un roman, « Manco, l’homme pétrifié ». Il m’en montrait des extraits. Son écriture était lumineuse mais l’histoire incompréhensible. Mon père avait une écriture. Il lui manquait trois fois rien pour être lu : assumer psychologiquement de terminer son livre ; admettre que quelques indices de compréhension (ne pas changer le nom des personnages sans avertir le lecteur par exemple) faciliteraient la publication de son texte…
Mon père a été hospitalisé à Sainte-Anne l’année de ma naissance. Je n’ai pas tout de suite compris qu’il souffrait de problèmes psychiatriques importants ; j’avais une admiration pour lui, notamment pour son statut d’écrivain. Il ne publiait pas mais il écrivait tout le temps. Et surtout sa vie avait été dictée par l’écriture (il était devenu SDF à l’adolescence pour écrire ; à vingt ans, il était parti à Londres expérimenter des drogues pour écrire, etc. : toute sa vie a été pensée pour écrire). Dans les années 70, il a entamé une correspondance avec Jean Cayrol, le scénariste de Nuit et brouillard, poète rescapé des camps, devenu éditeur aux éditions du Seuil et membre de l’Académie Goncourt. Cet éditeur encourageait mon père à écrire. Papa travaillait sur un roman, « Manco, l’homme pétrifié ». Il m’en montrait des extraits. Son écriture était lumineuse mais l’histoire incompréhensible. Mon père avait une écriture. Il lui manquait trois fois rien pour être lu : assumer psychologiquement de terminer son livre ; admettre que quelques indices de compréhension (ne pas changer le nom des personnages sans avertir le lecteur par exemple) faciliteraient la publication de son texte…
Editeur
LGDJ
Année
2018
Type
Article
Lieu
Paris
Titre du périodique
Numéro
n°2
Pages
pp. 131-145
ISBN
978 2 275 05606 8
URL
https://www.cairn.info/revue-droit-et-litterature-2018-1-page-131.htm